Cette fois c’est la bonne ! Avec la baisse de 0.25% de ses taux directeurs, la Réserve fédérale américaine (FED) a offert aux marchés financiers ce qu’ils attendaient depuis plusieurs mois : la reprise de l’assouplissement monétaire américain après neuf mois de pause, faisant suite à 100 points de base de réduction de son taux directeur entre septembre et décembre 2024. En effet, alors que la plupart des banques centrales sont déjà bien avancées dans leur cycle de baisse, la FED maintient ses taux inchangés en 2025 depuis le retour de l’inflation au-dessous des 3%.
Cela dit, après le changement de discours de Jerome Powell à Jackson Hole, laissant entrevoir que la situation du marché de l’emploi aurait un poids certainement plus important dans la prochaine décision que la trajectoire de l’inflation, les investisseurs n’ont cessé de s’appuyer sur ces potentielles baisses de taux et sur l’exceptionnel cycle d’investissement (lié à l’intelligence artificielle (IA) et à la baisse de fiscalité aux États-Unis) pour justifier des valorisations des actions encore plus élevées. Cela a notamment soutenu la hausse de plus de 10% de l’indice S&P 500 depuis le début de l’été contre à peine plus de 3% pour l’EuroStoxx 600.
Les derniers chiffres d’inflation sont certes ressortis en légère hausse, mais les droits de douane n’y semblent pas pour grand-chose car ce sont principalement les hausses des loyers et des prix immobiliers qui sont les sources de cette augmentation. L’indice des prix à la consommation a également progressé en août atteignant son plus haut niveau depuis janvier dernier, influencé par sa composante alimentation et énergie. Or, des prix à la production en baisse, une légère hausse des demandes d’allocations chômage et surtout des créations d’emplois en forte diminution (bien que très influencées par la politique migratoire et le délai de créations de nouveaux emplois de substitution) ont fini par engendrer la baisse de taux annoncée par la Réserve fédérale américaine le 17 septembre dernier.
Avec des taux nominaux au-dessus de 4%, il est vrai que la FED a les moyens de réactiver son cycle de baisse, même si Jerome Powell a quelque peu tempéré l’enthousiasme en indiquant que cette décision ne marquait pas le début d’un long cycle de réduction des taux. À moins que les marchés décident de « vendre » cette nouvelle, ceci devrait très certainement s’accompagner d’une poursuite du rallye boursier, comme cela s’est produit historiquement à chaque cycle de baisse de taux en l’absence de récession, malgré des valorisations actuelles élevées. Cependant, avec encore deux baisses supplémentaires d’ici la fin de l’année (comme l’a signalé la FED) et près de trois d’ici septembre 2026, les attentes des marchés sont très importantes. Ceci nous parait très ambitieux tant que l’inflation restera ancrée au-dessus de l’objectif de 2% de la FED. Les nouvelles prévisions de taux pour 2026 pourraient montrer un écart important entre ces anticipations et un positionnement plus prudent de la FED.
En outre, la politisation au sein du comité de la Banque centrale américaine devrait s’accroitre avec la nomination de Stephen Miran, proche de Donald Trump, comme gouverneur, et l’annonce du successeur de Jerome Powell prochainement. Deux options se présentent alors pour la politique monétaire : celle d’une FED politisée suivant les consignes de Trump de baisser les taux malgré une inflation résiliente, ou celle d’une FED plus indépendante qui baissera moins les taux que ce que le marché attend. Cette incertitude constitue un risque pour les actions américaines. De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) a estimé qu’elle avait gagné sa bataille contre l’inflation avec des prévisions à 2.1% pour 2025 et 1.9% à horizon 2027 et a maintenu ses taux inchangés début septembre, après huit baisses de taux anticipées par les marchés.
Dans le même temps, la pentification des courbes s’accélère sous l’effet des baisses des taux courts provoquées par l’assouplissement monétaire global et la hausse des taux long liée au fort mouvement de défiance à l’œuvre sur le marché obligataire. Cette méfiance est alimentée notamment par le travail de sape de l’indépendance de la FED aux États-Unis orchestré par la Maison-Blanche, et en Europe par la montée des incertitudes politiques, le coût financier des plans de relance et la fin de l’assouplissement monétaire de la BCE.
Faisant exception à ce mouvement global de hausse des taux long, la Suisse et Singapour apparaissent comme de rares havres de paix financière. La Suisse se finance à 10 ans à 0.15% en CHF, très proche des points bas de l’été 2022 et Singapour emprunte à 1.80% en SGD contre près de 3% en début d’année, reflet d’une maitrise parfaite de la dette et des déficits publics.
Des déficits toujours plus importants et une trajectoire de la dette qui semble parfois incontrôlable sur certains pays poussent de plus en plus les investisseurs à favoriser les obligations d’entreprises de qualité au détriment des obligations souveraines de long terme. Reflet de cet intérêt, plusieurs sociétés parviennent actuellement tant aux États-Unis qu’en Europe à se financer au-dessous des taux souverains de même maturité. C’est notamment le cas en France en raison de l’incertitude politique avec un peu plus d’une soixantaine de grandes sociétés de bonne qualité qui se refinancent à des taux plus faibles que le gouvernement français. Ceci reste néanmoins marginal par rapport à l’étendue du marché des crédits.
L’abaissement de note de crédit de la France par l’agence Fitch à A+, pour la quatrième fois depuis la crise Covid n’a quant à lui eu que peu d’impact sur les rendements de la dette française déjà passablement sous pression depuis quelques mois et qui traitait déjà au niveau d’un Etat noté BBB. Les agences Moody’s et S&P qui doivent prendre leur décision les 24 octobre et 28 novembre prochains choisiront-elles l’alignement avec Fitch comme ce fut le cas lors des précédentes dégradations ? La réalité est que le ratio de dette/PIB de la France est devenu quasiment similaire à celui de l’Italie ce qui justifie des taux équivalents, bien que la notation de l’Italie soit inférieure. Cela dit, au-delà d’un nouvel écartement des primes de risques, la dette française reste pour l’instant bien souscrite lors des nouvelles adjudications et dispose de relais de liquidités importants grâce à un secteur financier efficace et bien développé. Le marché estime également que Paris a toujours le moyen de mobiliser l’épargne record des Français et que la BCE ne pourra pas rester inactive en cas d’attaque spéculatrice sur la dette française.
Les obligations d’Etat américaines à long terme souffrent quant à elles de la remise en cause des piliers de confiance sur lesquels reposent historiquement leur statut d’actif très peu risqué auprès des investisseurs. La confiance dans les États-Unis, via la stabilité du dollar, le « parapluie américain » de sécurité et l’application des principes de droit, est en effet quotidiennement questionnée. De plus, les États-Unis ont ajouté 1.2 trillions de dollars de dette à leur passif en à peine deux mois, soit plus de 21 milliards supplémentaires par jour. Ce chiffre, bien que partiellement redistribué dans une économie qui évolue avec 6% de déficit et 3% de croissance, représente 50 dollars par jour pour chaque américain, soit 3'500 dollars de dette supplémentaire par habitant depuis début juillet 2025 ! Dans ce contexte nous continuons de favoriser les durations courtes et les obligations d’entreprises de bonne qualité au détriment des dettes souveraines.
Pendant ce temps, du côté des actions, l’IA continue d’élargir sa sphère d’influence, au-delà des puristes. Dernier en date, Oracle, fabricant de logiciel de longue date, propulsé de +150% depuis avril dernier après sa hausse massive du 10 septembre, à la suite de l’annonce d’un contrat record de 300 milliards de dollars conclu avec la société Open AI. Dans le même temps, NVIDIA atteint les 4'400 milliards de capitalisation, soit près du PIB de l’Allemagne, et sa lointaine concurrente Broadcom s’envole de +50% en septembre pour une capitalisation représentant le PIB de l’Espagne.
Dans l’ensemble, les secteurs de croissance ont été les leaders des indices américains ces dernières semaines alors que les indices mondiaux sont étonnamment soutenus par des secteurs « value » ou à faible valorisation. On constate également une dichotomie très importante sur les plus grandes capitalisations des indices des deux côtés de l’Atlantique depuis le début de l’année. Alors que les dix plus grands titres ont contribué à 70% de la performance du S&P 500 depuis début 2025, les équivalents européens de l’Eurostoxx 600 affichent quant à eux une performance négative de -2%, alors que les 590 suivants délivrent +16% en moyenne sur la même période.
Bien que les indices aient enregistré de bonnes performances depuis le début de l'année, la gestion active d'un portefeuille requiert une sélection judicieuse des titres, notamment ceux des grandes entreprises aux États-Unis et des autres catégories en Europe. Il est également essentiel de choisir le bon profil d'entreprises, ce qui implique une analyse stratégique approfondie. En dépit d'un solide momentum, d'un été exceptionnellement performant pour les actions et de perspectives favorables, la faible volatilité actuelle devrait encourager l'adoption de stratégies asymétriques. Ces stratégies visent à tirer parti de la hausse des marchés tout en protégeant une partie de l’exposition en cas de correction. N'oublions pas que le marché anticipe six baisses de taux d'ici la fin de 2026 et que les attentes vis-à-vis de l'IA sont élevées, ce qui nécessite de se prémunir contre toute éventuelle déception.
Nicolas Bickel
Group Head of Investment Private Banking & CIO