Par Benjamin Melman, Global CIO d'Edmond de Rothschild Asset Management
Depuis le début de l’année, les performances des marchés ont été essentiellement déterminées par des considérations politiques. Le S&P500 est en train de revenir aux niveaux prévalant avant les annonces du Liberation Day, malgré un choc majeur sur la confiance des agents économiques. Ce rebond des marchés trouve manifestement sa source dans l’idée véhiculée par l’administration Trump selon laquelle, à partir du 4 juillet, le Gouvernement tournera la page du protectionnisme et basculera vers les programmes de baisses d’impôts et de déréglementation.
Le séquençage envisagé du programme Trump est plausible mais fragile.
- Premièrement, on estime généralement que la redéfinition d’un traité commercial prend a minima 18 mois. Comment donc achever, ne serait-ce qu’avec les premiers quatorze principaux partenaires autant de négociations en seulement trois mois? Ensuite, les discussions avec la Chine, si elles semblaient reprendre aux toutes dernières nouvelles, restent dans une mauvaise passe, la Chine ayant décidé de jouer le rapport de force. Ainsi, l’objectif de clôturer les grandes questions commerciales pour le 4 juillet est donc loin d’être acquis.
- Deuxièmement, la mise en place du nouveau plancher de 10 % de droits de douane, combinée à l'incertitude persistante générée par l'administration, peut paralyser la croissance économique et même engendrer une récession. Il est possible que des effets en chaîne soient déjà en cours, tels que l'arrêt des investissements et des recrutements, qui ne réagiront pas nécessairement aux ajustements du calendrier politique de l'administration. Les entreprises fondent leurs décisions sur un cadre établi et ne les modifient pas au gré des dernières déclarations publiques. Dans un monde aussi interdépendant, changer radicalement les règles du commerce ou les alliances politiques internationales entraîne des impacts significatifs, qui ne se manifesteront pleinement qu'avec l'établissement d'un nouvel équilibre stable. Si la confiance est partiellement ébranlée, il est possible que les conséquences soient déjà irréversibles. De plus, personne ne sait avec certitude si, autour du 4 juillet, les droits de douane seront significativement réduits par rapport aux annonces précédentes.
Dans ce contexte, le risque nous semble asymétrique : les investisseurs se positionnent progressivement sur une nouvelle séquence, plus favorable, mais qui ne sera pas nécessairement franchie comme le souhaite l’administration Trump, et dont les conséquences ne sont pas encore entièrement évaluées. Par conséquent, nous préférons réduire un peu notre exposition aux actions américaines, cela nous amène à une légère sous-pondération des actions.
En Europe, le potentiel de rebond des marchés actions dépend davantage de la capacité des institutions européennes à se mobiliser que d'une attente de croissance dans les mois à venir. En Allemagne, l'annonce par M. Merz d'un plan d'investissement massif dans les infrastructures et la défense, avant même son accession à la Chancellerie, montre que l'Europe peut casser les codes et surprendre. La prochaine étape concerne la capacité européenne à mettre en place, partiellement ou totalement, les recommandations issues du rapport Draghi. Au-delà des budgets de défense déjà en hausse et des projets visant à réduire la bureaucratie, la sécurité énergétique pourrait être prioritaire au début. Il est aussi question de l’amélioration du cadre financier européen (compléter l'union bancaire, créer un marché unique des capitaux avec un régulateur unique, lancer un produit d'épargne européen...), mais le sujet s’annonce complexe et selon beaucoup ne devrait pas être traité cette année. Plus globalement, l’Europe a besoin d’une véritable impulsion politique pour mettre en œuvre ces initiatives. Avec l'arrivée de M. Merz à la Chancellerie le 6 mai, les semaines à venir seront déterminantes pour évaluer cette nouvelle dynamique.
Nous restons globalement neutres sur les marchés obligataires. Les investisseurs anticipent que les taux directeurs de la Fed convergeront vers 3,1 % d’ici fin 2026 soit près de 30 points de base sous la médiane des prévisions des membres de la Fed, et ceux de la BCE vers 1,5 %. Il faudrait donc un basculement de l’économie américaine vers la récession pour que des anticipations de baisse de taux supplémentaires permettent à l’effet duration de continuer à doper la performance. Les spreads de crédit reflètent, selon nous, convenablement l’incertitude des perspectives économiques. En Europe notamment, les obligations du secteur privé semblent actuellement en partie protégées par le jeu des corrélations : une augmentation des craintes économiques provoque un écartement des spreads mais aussi une baisse des taux, tant et si bien que l’effet global sur les cours reste limité. Tant qu’il n’y a pas de rupture du scénario économique ou de rebond de l’inflation, ce mode de fonctionnement devrait continuer. Au total, c’est surtout dans une optique de portage que les marchés obligataires restent intéressants bien davantage que dans une optique de gain en capital.
En bref :
- Les investisseurs se positionnent progressivement sur une nouvelle séquence, plus favorable. Néanmoins, l'introduction du nouveau plancher de 10 % de droits de douane, combinée à l'incertitude persistante générée par l'administration Trump, peut paralyser la croissance économique et même engendrer une récession aux Etats-Unis.
- En Europe, le rebond des marchés dépend davantage de la mobilisation des institutions que de la croissance, avec des initiatives comme celles de M. Merz en Allemagne et le potentiel de mise en œuvre des recommandations du rapport Draghi.
- Dans ce contexte, nous préférons réduire notre exposition aux actions américaines, ce qui nous amène à une légère sous-pondération des actions, tandis que nous restons globalement neutres sur les marchés obligataires.