Analyse de marché, Analyse de marché
04/06/2025

Par Benjamin Melman, Global CIO d'Edmond de Rothschild Asset Management

L'administration américaine promeut l'idée que la phase protectionniste prendra fin autour des festivités du 4 juillet pour se concentrer ensuite sur un programme de réduction d'impôts et de déréglementation, un scénario auquel les marchés d'actions semblent adhérer. Le budget en cours de préparation au Congrès laisse en effet espérer un stimulus fiscal net de l’ordre de 1 % du PIB. 

L’administration américaine veut-elle vraiment tourner la page ?

Les négociations commerciales sont encore loin d’être terminées comme en atteste le durcissement récent des discussions avec la Chine ou l’Europe (avec l’annonce d’une remontée potentielle à 50 % des tarifs douaniers à partir du 1er juin, date repoussée au 9 juillet). 

Alors que le nouveau cadre tarifaire visant à rétablir l’équilibre de la balance commerciale n’est pas finalisé, l’administration américaine ouvre peut-être un nouveau front concernant d’autres postes de la balance des paiements avec la section 899. Ce texte prévoit de laisser au Trésor la possibilité de taxer des flux de capitaux issus de placements détenus par des non-résidents (dividendes ou intérêts) de certains pays qui appliqueraient des taxes « discriminatoires » sur des biens et services américains, sans que le périmètre des actifs concernés soit clairement défini à ce stade. Cette section, qui sera discutée au Congrès, pourrait créer de la volatilité sur les actifs américains ou de susciter des mesures de rétorsion si elle devait être appliquée.

La page va-t-elle se tourner aussi facilement ? 

Pour les investisseurs, la question est de savoir s’il n’y aura pas de dérapages ou d’escalades dans les négociations tarifaires en cours, et si le creux stagflationniste qui s’annonce aux Etats-Unis au second semestre suite aux tarifs douaniers ne sera pas plus problématique qu’envisagé, avec notamment le risque de désancrage des anticipations d’inflation. Il s’agit également de savoir si marché obligataire américain ne rentrera pas en rébellion face à la nécessité de devoir financer le creusement d’un déficit public déjà extraordinairement élevé (7,2 % en 2024). Les investisseurs internationaux, déjà fortement exposés au dollar, expriment des doutes quant à leur capacité à augmenter leur exposition alors même qu'il s’agit financer un déficit substantiel de la balance courante (3,9 % en 2024). Autant de questions qui restent à ce stade sans réponses. 

Les flux se réorientent des Etats-Unis vers l’Europe et les pays émergents

Les perspectives des marchés actions européens 

On observe ces dernières semaines un retour de flux vers les actions européennes et émergentes qui avaient été largement délaissées dans les portefeuilles internationaux. Ce mouvement devrait, selon nous, se poursuivre. 

Si les perspectives de croissance en Europe restent modestes et sont en partie pénalisées par le manque de visibilité sur la conjoncture et la politique américaine, il ne faut pas sous-estimer la capacité européenne à répondre aux nouveaux défis. Les regards sont actuellement tournés vers l’Allemagne, où le nouveau Chancelier a surpris, en quelques semaines, par l’ampleur du plan de relance structurel, voire par ses annonces inhabituelles concernant le soutien militaire à l’Ukraine. 

Les recommandations du rapport Draghi, politiquement complexes à mettre en œuvre, exigent le retour d’un leadership européen pour surmonter les obstacles. Nul ne peut ignorer que les changements observés en Allemagne abondent en ce sens et devraient atténuer le scepticisme ambiant. Si l'Europe s'engageait dans les réformes du rapport Draghi, cela entraînerait un rerating des actions européennes. Le simple fait que la question se pose est de nature à pousser les investisseurs à réduire leur sous-pondération sur les actions européennes et permettre aux flux de poursuivre leur croissance. 

Des vents porteurs sur les marchés émergents 

Les marchés émergents bénéficient de nombreux facteurs favorables : la fin pressentie de la phase protectionniste avec des tarifs douaniers plus acceptables que lors du Liberation Day, un consensus baissier sur le dollar ainsi que des signes de sortie de la crise déflationniste en Chine dans le secteur immobilier. De plus, la baisse des taux de la Banque Populaire de Chine, notamment le taux de prêt de référence, s’avère de bon augure pour stabiliser les investissements dans le secteur immobilier. 

Enfin, nous estimons que la Chine continuera à annoncer des mesures de relance budgétaire au cours de l’année afin de redynamiser la croissance domestique et limiter sa dépendance au commerce extérieur, comme en témoigne la communication du gouvernement indiquant que les politiques de stabilisation de l’emploi entreront en vigueur au cours du mois de juin. 

Allocation : La prudence est maintenue sur les actifs américains

Dans ce contexte, nous maintenons notre allocation d’actifs légèrement sous-pondérée sur les actions (en sous-pondérant en particulier les Etats-Unis) et en réduisant notre exposition au dollar.

Points clés : 
-    De nombreuses incertitudes subsistent concernant les Etats-Unis, essentiellement en raison du risque de dérapage dans les négociations tarifaires en cours, avec la menace d'un désancrage des anticipations d'inflation. 
-    Le retour des flux vers les actions européennes et émergentes qui avaient été largement délaissées dans les portefeuilles internationaux devrait se poursuivre. 
-    Dans ce contexte, nous maintenons notre légère sous-exposition aux actions, en sous-pondérant les Etats-Unis et le dollar.