Par Benjamin Melman, Global CIO d'Edmond de Rothschild Asset Management
De part et d’autre de l’Atlantique, la rentrée s’annonce riche en actualités. Elle ne nous incite pas à modifier notre allocation, mais elle renforce certaines convictions et introduit de nouveaux points de vigilance.
Des changements à la Fed
• Pivot à la Réserve Fédérale : lors de la conférence de Jackson Hole, Jerome Powell a fait évoluer son discours, privilégiant désormais la faiblesse de l’emploi, au détriment de la lutte contre l’inflation pourtant toujours au-dessus de l’objectif. Bien que celle-ci puisse augmenter sous l’effet de la hausse significative des droits de douane, M. Powell estime que cette hausse sera temporaire. Il souligne que, quelle qu’en soit l’origine, c’est bien le ralentissement de l’emploi qui justifie un assouplissement de la politique monétaire. Or, selon qu’il résulte d’un choc d’offre (tassement brutal de l’immigration) ou d’un ajustement de la demande (prudence accrue dans les recrutements), les implications pour l’inflation diffèrent sensiblement. La Fed fait donc, à deux reprises, le choix de minorer le risque inflationniste. Le marché anticipe désormais une normalisation progressive de la politique monétaire vers un taux d’environ 3 %, ce qui correspond à l’estimation médiane du taux neutre de long terme du comité de politique monétaire de la Fed.
Le ralentissement de l'emploi est lié à la fois à une baisse de l'immigration et à un tassement des recrutements par les entreprises.
• Pression sur l’indépendance de la Fed : après la démission surprise d’Adriana Kugler (pour des raisons encore inconnues), le Président Trump et son administration exercent une pression maximale sur Lisa Cook afin qu’elle quitte ses fonctions (notamment en raison de la déclaration de deux crédits immobiliers pour deux résidences principales). Si l’administration décide de la remplacer, le Board de la Fed compterait alors 4 membres sur 7 nommés par le Président. En février prochain, le renouvellement des 12 représentants des Fed régionales, dont la validation relève du Board, pourrait permettre à l’administration Trump, en concertation avec les 4 membres, d’étendre facilement sa majorité au sein du Comité de politique monétaire.
« Nous aurons bientôt une majorité, ce sera fantastique », a déclaré Trump. « Une fois que nous aurons une majorité, le marché immobilier va basculer et ce sera formidable. Les gens paient des taux d'intérêt trop élevés. » (CNN, 28 août 2025)
• Le marché reste largement indifférent au risque de perte d'indépendance de la banque centrale, malgré son rôle crucial dans le système économique et financier américain. Le dollar, notamment, continue de se stabiliser face aux autres devises. La véritable question est de savoir si cette prise de pouvoir conduira à une « vision Bessent » (préconisant une baisse de 150 points de base des taux, en accord avec les fondamentaux de la règle de Taylor et les prévisions des marchés) ou à une « vision Trump » (visant une baisse de 3 % des taux). Perdre l'indépendance est une chose ; perdre la crédibilité en est une autre. Plutôt que de s'attarder sur cette distinction, il est important de noter que le risque de dépréciation du dollar continue d'augmenter.
• Le changement de direction de la Fed, combiné aux préoccupations concernant son indépendance, crée un risque asymétrique de baisse pour le dollar et les taux courts et intermédiaires américains. La prudence reste de mise sur les taux longs : si la Fed perdait son indépendance et sa crédibilité, notamment avec une hausse de l'inflation en raison des tarifs douaniers et des prévisions d'inflation instables chez les ménages, une nouvelle vague inflationniste pourrait se profiler.
France : pas d’issue à la crise mais pas de drame en vue
L'appel du Premier ministre à un vote de confiance organisé le 8 septembre a provoqué une hausse de la volatilité de la dette publique et des actions françaises. Plus que l'ampleur de la réduction du déficit (conforme cette année aux engagements du gouvernement), le véritable problème de la France réside dans l'instabilité politique et la difficulté à voter les budgets. Il est frappant de constater que, depuis la nomination de Georgia Meloni à la présidence du Conseil en Italie, la Ve République française, créée pour assurer la stabilité politique, s'apprête à accueillir un cinquième Premier ministre. Trois scénarios possibles se profilent si la motion de confiance est rejetée :
1. La nomination d'un nouveau gouvernement : un Premier ministre issu de la famille politique présidentielle, de la droite, ou de la gauche modérée pourrait être désigné pour élargir la base politique. Cela aboutirait tout au mieux à un léger ajustement des efforts budgétaires, laissant la situation critique mais relativement inchangée. Ce scénario, privilégié par les marchés, semble déjà intégré dans les cours actuels.
2. Une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale : deux situations principales pourraient en découler :
- Un parlement reconduit à peu près identique, avec une famille présidentielle probablement affaiblie, compliquerait l'adoption du budget. En cas de blocage, le gouvernement pourrait recourir à des ordonnances pour adopter un budget provisoire avec des crédits mensuels, mais cette situation ne serait pas politiquement viable sur le long terme et compromettrait la réduction du déficit. Le spread français pourrait légèrement s’écarter, même si une crise financière reste improbable.
- Une majorité du Rassemblement National (RN) pourrait émerger. Avec l'abandon du « Frexit », la révision de la promesse de retraite à 60 ans, et les efforts faits auprès des milieux économiques lors des législatives, leur victoire n'effraie plus nécessairement les investisseurs. Toutefois, la crédibilité du RN doit encore se construire, ce qui pourrait maintenir des primes de risque élevées pour la France.
La formation d'une nouvelle union de la gauche et sa victoire, le scénario le plus redouté par les marchés, semblent aujourd'hui improbables, en raison des fortes dissensions et des sondages peu porteurs.
3. Une démission du Président : face à la crise politique, une démission du Président mettrait en lumière l'incapacité du pays à parvenir à un consensus, ce qui devrait se traduire, dans un premier temps, par une prime d’incertitude accrue.
Actuellement, nous n'identifions aucune opportunité de repositionnement sur les actifs français après leur sous-performance, ni de raison solide pour réduire nos positions davantage.
Dans l'ensemble, nous conservons une allocation légèrement sous-pondérée en actions via les États-Unis. Bien que le pivot de la Fed, voire sa possible perte d'indépendance, puisse être perçu comme positif, la récente révision à la hausse des attentes des résultats des entreprises semble s'essouffler. Avec l'impact progressif des tarifs douaniers sur les prix finaux, des pressions à la baisse sur les marges des entreprises pourraient émerger.
De plus, la question de la monétisation de l'investissement en IA générative prend de l’ampleur, mais certaines enquêtes, dont celle du MIT publiée cet été, indiquent son effet limité pour de nombreux utilisateurs. La concurrence chinoise croissante relativise également l'oligopole établi par quelques acteurs américains.
Les difficultés en France ne nous amènent pas à revoir notre allocation pour l'Europe. Sur les marchés obligataires, nous favorisons les stratégies de portage tout en évitant les maturités trop longues. Enfin, nous sous-pondérons le dollar, compte tenu des orientations exprimées à Jackson Hole et du risque associé à l'indépendance de la Fed.
Points clés :
- Jerome Powell a fait évoluer son discours à Jackson Hole, privilégiant désormais la faiblesse de l’emploi, au détriment de la lutte contre l’inflation pourtant supérieure aux objectifs.
- Le pivot de la Fed et les préoccupations concernant son indépendance créent un risque asymétrique de baisse pour le dollar et les taux courts et intermédiaires.
- En France, le vote de confiance au Gouvernement annoncé par le Premier ministre a provoqué de la volatilité sur la dette publique et les actions françaises, sans modifier notre allocation pour l’Europe.